Dans un plan de marketing numérique, comment concilier les objectifs de performance à court terme avec la vision stratégique de long terme ?

By laizhuotong
18 October 2025 · 6 vues
Share this article

Sommaire exécutif

La croissance continue du marketing numérique incite de nombreuses organisations à privilégier des tactiques de performance immédiate, par exemple, SEA ou les bannières publicitaires avec un code promo. Cependant, un consommateur voit entre 4 000 et 10 000 publicités par jour. Il ne suffit donc plus de capter l’attention à court terme, et il faut construire une relation durable par la fidélisation et l’équité de marque.

L’enjeu central du marketing numérique est donc de savoir comment concilier les objectifs de performance à court terme (ex. acquisition et ventes rapides) avec la vision stratégique de long terme (ex. image de marque, fidélisation). Ce dilemme n’est pas unique au domaine numérique, mais il est plus important là-bas car le numérique se mesure en temps réel, ce qui pousse les entreprises à créer une culture de la performance à court terme.

De plus, cette tension est étroitement liée à d’autres défis numériques. Les outils tels que Google Analytics fonctionnent selon un modèle d’attribution au dernier clic, attribuent le crédit de la conversion à la dernière interaction et au dernier clic en ignorant l’ensemble du parcours client qui a précédé : le bouche-à-oreille, la notoriété de la marque, les articles de presse, ou encore le contenu organique. Parallèlement, les entreprises sont de plus en plus dépendantes des plateformes, ce qui les rend vulnérables à leurs moindres ajustements, comme la mise à jour de l’algorithme de Google en mars 2024, qui a eu l’effet d’une bombe sur l’écosystème internet.

Une analyse critique révèle les conséquences de ce déséquilibre. Selon Gartner, les investissements en marketing de marque ont chuté de 40% en cinq ans. Des cas comme Arc’teryx, qui a dilué son identité pour une visibilité immédiate, ou Nike, qui a perdu 27,5 milliards de dollars de valeur boursière en lançant sur le marché de la vente directe au consommateur, au profit de stratégies marketing axées sur les performances à court terme.

À l’inverse, les philosophies long-termistes de Jeff Bezos (Amazon) et d’Apple démontrent que la vision stratégique et la performance immédiate peuvent être synergiques.

Pour dépasser cette fausse dichotomie, cette étude explore la piste d’une métrique hybride de la valeur de la marque par les auteurs de la Harvard Business Review, intégrant la notoriété, la considération, la pertinence et l’unicité en un score unique. Ce score est comparé à un vaste écosystème de marques et directement lié à la performance financière et devient ainsi une « étoile polaire » guidant toutes les décisions. L’exemple d’Apple, dont chaque lancement de produit renforce simultanément son capital-marque et génère des pics de vente, valide empiriquement ce modèle. La conclusion souligne que le défi pour les entreprises est de maintenir une vision à long terme sans abandonner le court terme, nécessitant de transformer leurs performances à court terme en éléments fondamentaux pour leurs stratégies à long terme, et ces dernières servent d’amplificateur pour les performances à court terme.

Introduction : Le dilemme du marketing numérique court terme long terme

Selon Emarketer, en 2025, les Canadiens consacrent 68,5 % du temps aux médias numériques, tandis que Google, Meta et Amazon capteront 75,6 % des dépenses publicitaires au Canada. Ces chiffres démontrent la croissance continue du marketing numérique et incitent de nombreuses organisations à privilégier des tactiques de performance immédiate, par exemple, SEA ou les bannières publicitaires avec un code promo. Cependant, un consommateur voit entre 4 000 et 10 000 publicités par jour. Il ne suffit donc plus de capter l’attention à court terme, et il faut construire une relation durable par la fidélisation et l’équité de marque.

L’enjeu central est donc de savoir comment concilier les objectifs de performance à court terme (ex. acquisition et ventes rapides) avec la vision stratégique de long terme (ex. image de marque, fidélisation). Ce dilemme n’est pas unique au domaine numérique, mais il est plus important là-bas car le numérique se mesure en temps réel, ce qui pousse les entreprises à créer une culture de la performance à court terme. Par exemple, les indicateurs comme les clics, les impressions et les nouveaux utilisateurs sont disponibles directement grâce à des outils comme Google Analytics, tandis que la confiance et la réputation doivent être développées progressivement et ne sont pas visibles à court terme.

Mise en relation avec d’autres enjeux du numérique

La tension entre les aspects à court et à long terme du marketing numérique n’est pas un problème isolé, mais elle est étroitement liée à d’autres défis numériques.

Par défaut, les outils tels que Google Analytics fonctionnent selon un modèle d’attribution au dernier clic, comme l’ont souligné les études de JoAnn Sciarrino et al. (2019), le modèle d’attribution attribue le crédit de la conversion à la dernière interaction et au dernier clic, tel que le SEA, sans tenir compte des effets à long terme ou à moyen terme (par exemple, SEO ou le contenu de marque). Gabriel Tassé pense aussi que ce modèle surestime massivement le rôle des campagnes payantes en ignorant l’ensemble du parcours client qui a précédé : le bouche-à-oreille, la notoriété de la marque, les articles de presse, ou encore le contenu organique. Cette vision partielle a directement poussé les entreprises à réduire les budgets alloués à l’amélioration de la notoriété et de l’image de marque, réduisant ainsi les investissements essentiels à l’avenir de la marque.

De plus, cette tension est étroitement liée à la transition vers les données first-party et le marketing responsable. Certaines marques privilégient encore des tactiques de reciblage agressif, par exemple des bannières proposant des rabais sur des produits récemment consultés. Bien que cette tactique donne des résultats mesurables à court terme, elle est perçue comme intrusive et nuit à la confiance des consommateurs envers la plateforme et la marque. Le renforcement de la réglementation, comme le RGPD, la Loi 25 ou la disparition des cookies tiers, est une réponse directe à ces problèmes. À l’inverse, certaines marques telles que Lancôme collectent des informations sur les utilisateurs grâce à des services virtuels tels que E-SKIN FINDER et E-SHADE-FINDER. La valeur de ce partage volontaire de données dépasse largement le tracking passif, ce qui crée un cercle vertueux : les données first-party obtenues sont plus riches et plus fiables, permettant une personnalisation plus respectueuse, une fidélisation accrue et une valorisation durable de la marque.

L’émergence de l’intelligence artificielle et de l’automatisation accentue ces défis, comme les outils de mesure en temps réel, l’automatisation publicitaire et la pression algorithmique créent une culture de la performance à court terme, qui a favorisé une dépendance aux algorithmes. Comme le souligne Gabriel Tassé, grâce à des métriques précises et des modèles d’optimisation avancés, les plateformes publicitaires peuvent suivre en temps réel chaque dollar dépensé. Cette révolution a conduit de nombreuses marques à concentrer la quasi-totalité de leurs efforts sur des campagnes qui visent à générer des résultats rapidement. Une analyse du groupe de réflexion Canadian Anti-Monopoly Project explique que Google, Meta et Amazon contrôlent plus de 90% du marché destiné à la vente de publicité en ligne au Canada, renforçant leur influence.

Cette concentration crée une dépendance algorithmique préoccupante, car de légères modifications aux algorithmes des principales plateformes peuvent avoir un impact important sur leur visibilité et leur performance. Un exemple récent est la mise à jour de l’algorithme de Google survenue en mars 2024 avec l’objectif d’améliorer la pertinence des résultats. Mais elles ont eu l’effet d’une bombe sur l’écosystème internet. La visibilité de nombreux sites d’e-commerce en a été drastiquement réduite, entraînant des pertes de revenus substantielles. Même si beaucoup de sites ont depuis redressé la barre, cet épisode a mis en évidence les dangers d’une trop forte dépendance au moteur de recherche américain. Pour les entreprises, cette chute de trafic équivaut souvent à une menace existentielle, puis les pousse à réagir dans l’urgence et à réallouer leurs ressources vers du référencement payant (SEA) plus coûteux. Cela renforce leur dépendance par rapport aux moteurs de recherche et nuit à leurs investissements à long terme, créant un cercle vicieux difficile à briser.

Analyse critique : Les pièges du court-termisme et la fausse « balance »

Cette tension entre performance immédiate et vision stratégique se traduit par des choix stratégiques différents en pratique.

Sous la pression des actionnaires et la séduction des résultats immédiats, de nombreuses entreprises privilégient la conversion rapide au développement de leur marque. Selon Gartner, les investissements en marketing de marque ont chuté de 40 % en cinq ans au profit du court terme, entraînant une baisse de notoriété et de perception. Cependant, les consommateurs engagés sont quatre fois plus susceptibles de payer une prime et d’acheter plus souvent, ce qui prouve que la valeur durable repose sur l’attachement émotionnel et la fidélité. Cette tendance à privilégier les objectifs à court terme est également présente dans les stratégies récentes de certaines marques. Par exemple, Arc’teryx a cherché à élargir son audience dans l’art et la mode, a privilégié la visibilité immédiate au risque de s’éloigner de ses valeurs environnementales initiales. Cela illustre le fait qu’une concentration excessive sur les indicateurs à court terme (ex., la portée, de nouveaux clients) peut entraîner un déséquilibre stratégique, un manque d’identité et de différenciation.

Un autre exemple est la décision de Nike de retirer ses produits des distributeurs tels que Footlocker et Macy’s, pour se concentrer plutôt sur les ventes via son propre magasin et son propre commerce en ligne. L’entreprise pensait que cela permettrait d’augmenter ses bénéfices à court terme et le cours de ses actions en éliminant les intermédiaires. Cependant, cela a entraîné une baisse de 27,5 milliards de dollars du cours de l’action Nike en juin 2024. Nike a réduit ses ventes dans les distributeurs tels que Footlocker et Macy’s, ce qui a rendu l’achat de ses produits plus difficile pour les consommateurs, qui se sont alors tournés vers des marques concurrentes. Nike a donc involontairement cédé des parts de marché significatives à des concurrents agiles comme Hoka et On Running. Comme le souligne Luke Brown dans son blog, Nike a abandonné ses efforts à long terme pour développer sa marque lorsqu’elle s’est lancée sur le marché de la vente directe au consommateur, au profit de stratégies marketing axées sur les performances à court terme.

Cette situation rappelle la “myopie marketing” théorisée par Theodore Levitt, où les entreprises se concentrent trop sur la simple vente de leurs produits au détriment des besoins et des attentes de leurs clients. Aujourd’hui, nous vivons une myopie numérique, où l’obsession des métriques à court terme prend le pas sur la création de valeur durable. Comme le souligne Gabriel Tassé, cette obsession pour l’efficacité à court terme ignore des dynamiques commerciales fondamentales et, paradoxalement, met en péril la croissance et la résilience sur le long terme.

Cette tension est toutefois en grande partie artificielle. La Harvard Business Review (2023) note que cela oppose involontairement performance immédiate et vision stratégique : céder une partie des résultats rapides pour libérer de l’espace au long terme crée une fausse « balance » qui alimente une compétition budgétaire malsaine.

Jeff Bezos défend avec force l’idée que « tout se joue sur le long terme » dans Invent and Wander. Le parcours d’Amazon illustre parfaitement cette vision à long terme.  Lorsque les services cloud AWS ont été lancés, ils généraient peu de bénéfices, ce qui a même conduit certains observateurs externes à douter de la capacité d’Amazon à rester fidèle à sa mission initiale. Cependant, Jeff Bezos a pensé que si toutes les futures entreprises Internet avaient besoin du cloud computing, la mise en place dès le départ de l’infrastructure nécessaire garantirait un nouveau moteur de croissance pour les années à venir. Aujourd’hui, AWS est un leader du cloud computing, générant une part majeure des revenus d’Amazon. Ses actions démontrent que les objectifs à long terme ne sont pas incompatibles avec les bénéfices immédiats. Elles révèlent une stratégie active : même si certaines initiatives ne sont pas rentables immédiatement, elles permettent d’accumuler des avantages concurrentiels essentiels pour l’avenir. Les bénéfices réels à court terme sont souvent le résultat naturel d’investissements à long terme qui se développent au fil du temps.

Apple représente parfaitement cette philosophie. La stratégie de marque d’Apple s’est toujours concentrée sur la valeur perçue et le lien émotionnel avec ses consommateurs, et sa performance à court terme est servie par sa vision de long terme. Apple n’a pas besoin de rabais pour écouler ses nouveaux produits ou obtenir les nouveaux clients. Sa stratégie de long terme a créé un tel niveau de désir et de fidélité que ses campagnes de lancement génèrent des pics de vente immédiats. C’est ce qui explique que les clients peuvent être prêts à payer un prix plus élevé parce qu’ils considèrent la marque comme étant un gage de qualité et/ou un symbole de notoriété.

Le défi ne consiste donc pas à choisir entre performance et vision, mais à comprendre que la vision favorise la performance et que la performance sert la vision. Si Jeff Bezos et Apple ont démontré la faisabilité de concilier les temporalités, le défi pour la plupart des entreprises, comme le montrent les exemples d’Arc’teryx et Nike, est d’opérationnaliser concrètement cette vision. C’est précisément dans ce contexte que la proposition de la Harvard Business Review concernant la métrique hybride offre une piste de solution praticable.

Pistes de solutions et recommandations pour un marketing équilibré entre court et long terme

Face à la fausse « balance » entre performance et vision, les entreprises doivent adopter de nouveaux cadres de réflexion et d’action. Comme le conseillent les auteurs de la Harvard Business Review, il faut relier les deux horizons à une même métrique hybride de la valeur de la marque afin de transformer une relation antagoniste en synergie stratégique.

Concrètement, il s’agit de dépasser les indicateurs de silo et de développer une nouvelle métrique hybride qui permettrait de relier directement les actions de performance immédiate et la valeur de long terme. Les entreprises doivent donc adopter une métrique hybride qui mesure sa marque à travers quatre dimensions comme la notoriété, la considération, la pertinence et l’unicité :

  • Notoriété : Le degré de connaissance de la marque par les consommateurs.
  • Considération : Le niveau d’appréciation et de respect envers la marque.
  • Pertinence : La perception de la marque comme étant importante pour la vie du consommateur.
  • Unicité : Le niveau de différenciation perçu de la marque.

L’innovation ne consiste pas à les mesurer séparément, mais à les intégrer en un score unique. Ce score est comparé à un vaste écosystème de marques et directement lié à la performance financière et devient ainsi une « étoile polaire » guidant toutes les décisions. La question stratégique donc n’est plus « Combien investissons-nous dans la performance et la marque ? », mais plutôt « Comment chaque investissement marketing, que ce soit pour augmenter les taux de conversion ou la notoriété de la marque, contribue-t-il à améliorer ce score ? ».

L’exemple d’Apple illustre parfaitement la maîtrise de ce principe. Pour Apple, les réalisations à court terme ne sont pas une fin en soi, mais plutôt le résultat de la force durable de sa marque.

Un lancement d’iPhone n’est pas jugé uniquement sur les ventes du trimestre, mais sur sa capacité à renforcer les quatre dimensions : il a attiré une couverture médiatique importante, ce qui renforce la familiarité. Son prix premium et sa valeur perçue démontrent la fidélité des clients à la marque telle que la plupart des consommateurs Apple pensent : “Je le veux parce que c’est un iPhone d’Apple, un produit cool et design.” Son intégration fluide dans l’écosystème existant (Apple Watch, iCloud, etc.) accroît sa pertinence dans la vie quotidienne. Son design et ses innovations uniques affirment son unicité.

De même, une campagne comme « Shot on iPhone » est bien plus qu’un outil de promotion, c’est un investissement direct dans ce score. En mettant en scène les créations des utilisateurs, elle met non seulement en valeur la polyvalence de l’appareil photo de l’iPhone, mais renforce également la pertinence, le lien émotionnel (considération) et la différenciation de ses concurrents technologiques (unicité).

Cette stratégie consiste à adapter chaque action pour servir le score de marque et générer des résultats financiers concrets. Selon le rapport Brand Finance Global 500, Apple est la marque la plus valorisée au monde en 2025, avec une valeur de 574,5 milliards de dollars. Cette valorisation n’est pas un phénomène abstrait, une étude révèle qu’en moyenne, plus de 80 % des consommateurs connaissent la marque sur l’ensemble des marchés étudiés et que 45 % envisagent d’utiliser les produits ou services de la marque Apple. Ces chiffres illustrent parfaitement la traduction d’un capital-marque solide (notoriété et considération importantes) en une performance financière immédiate, créant un cercle vertueux où la vente construit la marque, et la marque facilite la vente.

La marque la plus valorisée au monde en 2025 confirme encore davantage le succès de la stratégie à long terme d'Apple
Photo par Visualcapitalist https://www.voronoiapp.com/markets/The-Worlds-Most-Valuable-Brands-in-2025--4419
Photo par Visualcapitalist https://www.voronoiapp.com/markets/The-Worlds-Most-Valuable-Brands-in-2025–4419

Ainsi, le cas Apple valide empiriquement le modèle de la métrique hybride de la HBR. Alors que l’entreprise cherche à relever les défis réglementaires et à se développer sur les marchés et secteurs émergents, sa proposition de valeur unique restera essentielle à sa pérennité. Le défi pour les autres marques est de vaincre la peur de l’incertitude et les pièges de la comparaison sociale, ainsi que de maintenir une vision à long terme sans abandonner le court terme. En utilisant leurs propres indicateurs pour créer un effet levier et reproduire le succès d’Apple et d’Amazon, elles doivent transformer leurs performances à court terme en éléments fondamentaux pour leurs stratégies à long terme, et ces dernières servent d’amplificateur pour les performances à court terme.

Référence :

Share this article
By laizhuotong

Leave the first comment