Le culte des rabais : Quand le Web Analytics mesure la chasse aux deals au Québec

Par RebrabMelissa
15 novembre 2025 · 53 vues
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Au Québec, novembre marque le début d’un hiver neigeux, mais aussi d’un rituel collectif : celui des rabais. Entre Black Friday, Cyber Monday et Boxing Day, les vitrines s’illuminent, les notifications pleuvent, et les consommateurs se lancent dans une véritable chasse aux
aubaines.
Mais derrière les bannières criardes et les notifications “-70 % pour un temps limité” il
existe une mécanique invisible, une forme de technologie discrète mais redoutablement
efficace, le web analytique.
Ce n’est pas seulement un ensemble d’outils de mesure. C’est le système nerveux du
commerce numérique, celui qui analyse chaque clic, chaque hésitation, chaque panier
abandonné pour comprendre et parfois influencer nos décisions d’achat

Derrière les rabais, la donnée

Chaque fois qu’un consommateur visite un site de commerce électronique ou ouvre une
application de fidélité, il laisse derrière lui une trace numérique.
Des outils comme Google Tag Manager et Google Analytics 4 enregistrent nos interactions,
combien de temps nous restons sur une page, quel produit attire notre attention, quel bouton nous
fait craquer.
Ces traces sont suivies sous forme d’événements : view_promotion, add_to_cart, purchase.
Sur les applications mobiles, Firebase Analytics fait la même chose sous un autre format.
Et ces données ne restent pas isolées, elles s’ajoutent aux programmes de fidélité des grandes
marques, PC Optimum, Poulet Rouge, Walmart Rewards,,etc pour créer des profils d’achat
détaillés. Autrement dit : notre parcours client, du clic à la caisse, est désormais entièrement
traçable.

Google Tag Manager (GTM) est une plateforme de gestion de balises qui permet de déployer, organiser et déclencher des tags web à partir d’un ensemble d’événements ou de conditions prédéfinies. Une fois les événements capturés, GTM exécute les balises associées afin d’envoyer les données vers les outils d’analyse, de suivi ou de marketing concernés.

Chaque transaction, chaque clic, chaque coupon utilisé devient une brique dans un portrait
comportemental de l’utilisateur. Les entreprises ne se contentent plus de savoir ce qu’on
achète, elles savent quand, comment et pourquoi sans manquer, à quelle heure on consulte les rabais, sur quel appareil et combien de temps on hésite avant d’ajouter au panier.
Cette masse de données, souvent qualifiée “d’or numérique”, est traitée par des systèmes
complexes appelés Data Layers. Ces couches techniques structurent et normalisent
l’information avant qu’elle ne soit transférée dans des entrepôts comme BigQuery ou
Snowflake, pour qu’elles soient croisées avec des bases CRM, et analysées via des pipelines
automatisés où des analystes explorent des millions de lignes de données à l’aide du langage
SQL. C’est ce qu’on appelle l’attribution marketing : déterminer quelle action, une pub, un
courriel, une notification, a réellement déclenché la vente.
Selon Infopresse (2024), près de 70 % des détaillants québécois utilisent déjà ce type de
technologie pour ajuster leurs campagnes de promotion en temps réel.

Quand les algorithmes web devinent nos données

L’évolution récente de l’intelligence artificielle a profondément transformé les capacités analytiques du web. Alors que les systèmes traditionnels de web analytique se limitaient à décrire les comportements observés pages consultées, taux de conversion, sources de trafic, les technologies actuelles elles, permettent désormais d’anticiper les actions futures des utilisateurs. Cette transition d’une logique descriptive vers une logique prédictive s’appuie sur la collecte massive de données événementielles et sur l’apprentissage automatique. Grâce à cette infra, le web ne se contente donc plus de comprendre ce que les consommateurs ont fait mais il devine ce qu’ils feront probablement ensuite.

Concrètement, cela veut dire que chaque interaction utilisateur est capturée par des systèmes de balisage tels que Google Tag Manager comme expliqué dans le schéma précédent, qui enregistrent des événements comme les clics, les visites de pages, les ajouts au panier ou les transactions complétées. Ces données sont ensuite transférées vers des environnements décisionnels comme Google Analytics 4, puis centralisées dans des entrepôts de données tels que BigQuery. À partir de ces corpus, des plateformes d’intelligence artificielle, notamment BigQuery ML et Vertex AI, permettent de construire des modèles prédictifs capables d’identifier des schémas comportementaux, de détecter des périodicités d’achat ou d’estimer la probabilité qu’un consommateur réalise une action future.

Prenons l’exemple d’un client qui achète du café en ligne à intervalles réguliers, par exemple toutes les deux semaines. Le système détecte automatiquement cette récurrence temporelle dans l’historique des transactions. Un modèle statistique souvent basé sur des séries temporelles ou une régression prédictive estime alors qu’à un moment donné, la probabilité d’un nouvel achat augmente significativement. Lorsque ce seuil probabiliste est atteint, les infrastructures marketing associées (Customer Data Platforms, moteurs de recommandation, plateformes publicitaires) déclenchent une intervention automatisée. Trois jours avant la date anticipée de réapprovisionnement, une promotion ciblée peut ainsi apparaître, exemple: « 20 % de rabais sur votre marque de café préférée, aujourd’hui seulement. » Ce mécanisme ne relève pas du hasard, mais du marketing prédictif : les systèmes algorithmiques analysent les séquences d’achat, la fréquence de navigation, le temps passé sur les pages et l’ensemble des patterns comportementaux afin de calculer la probabilité qu’un consommateur réitère un achat.

Ces dynamiques d’inférence interviennent dans un contexte où les comportements d’achat évoluent rapidement. Selon le Sondage sur le magasinage des Fêtes 2025 de Deloitte Canada, 48 % des consommateurs considèrent les achats des Fêtes comme stressants et affirment que les transactions en ligne facilitent le processus, notamment en raison du gain de temps qu’elles permettent. Malgré cette montée du numérique, 55 % du budget des Fêtes demeure dépensé en magasin, un niveau stable d’une année à l’autre, indiquant que l’expérience physique conserve une valeur perçue importante. Les différences générationnelles accentuent cette hybridation des pratiques : la génération Z (45 %) et les milléniaux (49 %) allouent près de la moitié de leur budget des Fêtes à des achats en ligne, davantage que les Baby-boomers (31 %). Cette tendance confirme un glissement structurel vers des parcours d’achat mixtes, où l’expérience en ligne et l’expérience en magasin cohabitent.

Dans ce contexte, les algorithmes prédictifs jouent un rôle crucial pour les détaillants cherchant à optimiser leurs interactions avec les consommateurs. La capacité à anticiper les intentions d’achat, à adapter les offres en temps réel et à personnaliser les expériences omnicanales devient désormais un avantage stratégique majeur. Les entreprises sont ainsi incitées à développer des infrastructures avancées de collecte et de traitement de données, capables de soutenir des modèles prédictifs intégrés et des mécanismes d’activation automatisés, car oui, de nos jours, les décisions commerciales ne reposent plus uniquement sur l’observation des comportements passés, mais aussi et surtout sur la prédiction probabiliste de leurs comportements futurs.



Mais derrière cette efficacité se cache un autre enjeu éthique majeur :
À quel moment la personnalisation devient-elle manipulation ?
À force d’analyser nos comportements, les entreprises ne se contentent plus de répondre à
nos besoins, elles les créent. Elles apprennent à déclencher nos désirs au bon moment, parfois
sans que nous en ayons conscience

Quand la performance rencontre l’éthique : la Loi25

C’est ici que la Loi 25 entre en jeu.
Adoptée au Québec pour moderniser la protection des renseignements personnels, elle impose
depuis 2023 un cadre strict à la collecte et à l’utilisation des données.
Les entreprises doivent désormais obtenir un consentement clair et éclairé, expliquer à quoi
servent les données, et nommer un responsable de la protection.
Sur le plan technique, cette loi a accéléré la transition vers le server-side tagging, plutôt que
d’envoyer directement les informations vers des tiers comme Google ou Meta, les données
passent d’abord par un serveur sécurisé. Ce serveur agit comme un filtre, en effet, il anonymise,
supprime les identifiants personnels et conserve uniquement les éléments nécessaires à
l’analyse. Selon la Commission d’accès à l’information du Québec (CAI, 2023), cette approche
place la province parmi les plus avancées au monde en matière de gouvernance numérique.
Mais elle oblige aussi les entreprises à repenser leur rapport à la donnée.
On ne peut plus “tout mesurer” : il faut désormais mesurer mieux.

Les dark patterns : quand la données fait manipulation

Derrière chaque campagne de rabais se cache une stratégie psychologique soigneusement
testée. Les fameux messages “plus que deux articles disponibles” ou “offre qui se termine dans
10 minutes” ne sont pas des coïncidences.
Ce sont des dark patterns ou en d’autres termes, des mécanismes de persuasion basés sur nos
biais cognitifs, mesurés et optimisés grâce au web analytique. Ces tactiques jouent sur la peur
de manquer, l’urgence, la récompense immédiate. Elles fonctionnent.
Mais elles soulèvent une autre sous-question essentielle : à quel moment le marketing cesse-t-il
d’informer pour commencer à manipuler ?
L’enjeu ici n’est pas de condamner le web analytique, mais de questionner son usage. À force de
transformer chaque donnée en opportunité de vente les marques risquent d’oublier la
dimension humaine du consommateur. La donnée n’est pas seulement un levier de performance
mais c’est aussi un fragment de notre intimité numérique.
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Comme réponse aux enjeux, il faudra considérer que le web analytique est un formidable outil
de connaissance, car si nous maitrisons son utilisation, il nous permet de comprendre les
besoins réels des consommateurs, de réduire le gaspillage publicitaire et de concevoir des
expériences plus pertinentes. Mais mal encadré, il devient une machine à exploiter nos réflexes.
L’avenir du marketing repose donc sur un équilibre fragile entre performance et éthique.
Les entreprises doivent adopter une approche de “data minimalisme” : collecter moins, mais
mieux.
Plutôt que de viser la quantité, il s’agit de privilégier la qualité, la pertinence et la transparence.
Et du côté des consommateurs, un apprentissage collectif s’impose, comprendre que nos clics
ont une valeur, que nos données sont une monnaie d’échange, et qu’il est possible d’exiger plus
de clarté sur la façon dont elles sont utilisées.
Comme le souligne HEC Montréal (2025) dans son cours sur la gouvernance numérique,
“l’avenir de l’analytique ne sera pas seulement technologique, il sera aussi éthique”
Levraideal
Le culte des rabais en dit long sur notre époque , ou tout devient rapide, connectée, mesurable.
Nous sommes devenus à la fois les acteurs et les produits d’un écosystème fondé sur la
donnée. Le web analytique n’est pas à abolir, mais à humaniser.
Les outils sont puissants, les algorithmes précis,mais sans réflexion éthique, ils ne font
qu’amplifier nos faiblesses.
Peut-être que la véritable aubaine, ce n’est pas celle qui s’affiche en rouge à -70 %.
C’est celle qui repose sur la confiance, la transparence et une meilleure compréhension mutuelle
entre les marques et leurs clients.
Parce qu’au fond, dans un monde où tout se mesure, la seule donnée vraiment précieuse, c’est
celle qu’on choisit de partager.

Sources

  • Commission d’accès à l’information du Québec (CAI).
  • Guide sur la Loi 25 Modernisation de la protection des renseignements personnels au Québec.
  • Ministère de la Cybersécurité et duNumérique du Québec.
  • Loi 25 : Gouvernance et protection desrenseignements personnels. Statistique Canada (2024).
  • Commerce électronique et comportementsd’achat des Canadiens.HEC Montréal (2025).
  • Cours de gouvernance numérique et web analytique L’éthique de la donnée dans le commerce connecté. Infopresse (2024).
  • Les tendances du marketing numérique et de la personnalisation au Québec.
  • Google Analytics 4 (GA4) Documentation.
  • Introduction à GA4 et à la mesure par événements.
  • Firebase Analytics – Google Developers.
  • Collecte et analyse des événements sur applications mobiles.
  • Google Tag Manager. Configurer et gérer vos balises de mesure et de conversion.
  • Looker Studio (anciennement Data Studio).Créer des rapports interactifs à partir de vos données marketing.
  • BigQuery – Google Cloud. Entrepôt de données pour analyses avancées.
  • Modern Data Warehouse – Analyse et traitement en temps réel. La Fusée (2023).
  • La Loi 25 au Québec : comprendre et appliquer les nouvelles obligations de conformité. CookieYes (2024).
  • Rapport Deloitte 2025 : Le sondage sur le magasinage des Fêtes de Deloitte Canada montre une augmentation des dépenses de 3 %

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