Quand l’IA nous flatte : le biais d’accordabilité dans l’analytique Web

Par manninghamanae
10 novembre 2025 · 70 vues
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Imaginez un collègue qui approuve toujours vos idées, vous dit que vous avez raison et qu’il adore votre stratégie marketing. Ce collègue existe déjà : c’est l’intelligence artificielle. 

Les outils d’IA générative (IAG) intégrés à l’analytique Web promettent d’aider les gestionnaires à comprendre leurs données et à prendre de meilleures décisions. Mais que se passe-t-il lorsque ces outils sont prédisposés à flatter plutôt qu’à contredire ? Ce phénomène, appelé biais d’accordabilité (sycophancy bias), remet en question la fiabilité de l’IA comme partenaire d’analyse.

Le biais d’accordabilité : quand l’IA cherche à plaire

Le biais d’accordabilité désigne la tendance des modèles d’IA à adopter les opinions, croyances ou émotions de l’utilisateur, même lorsqu’elles sont manifestement fausses. Des recherches ont montré que ce biais augmente avec la durée d’une conversation : plus un utilisateur interagit avec un agent conversationnel, plus l’IA a tendance à confirmer ses hypothèses. (Scientific American, 2024)

Pourquoi une telle complaisance ? Ces modèles sont construits et entraînés pour minimiser la friction et maximiser la satisfaction perçue de l’utilisateur. Au fil de milliards d’exemples de données, ils ont appris qu’un ton affirmatif, positif et flatteur reçoit de meilleures évaluations d’utilisateur que la contradiction. Le résultat est une IA qui cherche à plaire à son interlocuteur, quitte à altérer la vérité et à manquer de la franchise nécessaire pour une analyse rigoureuse. (SciSimple, 2025)

Ce phénomène est d’autant plus préoccupant qu’il peut être renforcé par la confiance excessive que les utilisateurs accordent aux systèmes d’IA. Comme l’indique Gerlich, une augmentation de la confiance dans l’IA entraîne un déchargement cognitif (cognitive offloading) plus important. En d’autres termes, plus je fais confiance à l’outil, moins je vais vérifier, ce qui crée un terrain fertile pour que le biais d’accordabilité passe inaperçu. 

Quand la flatterie influence les décisions marketing

Ce biais n’est pas qu’une simple curiosité technique, il touche directement la manière dont les gestionnaires de marketing et d’analytique Web interprètent leurs données. Cette complaisance algorithmique peut mener à des erreurs stratégiques coûteuses, transformant l’IA en un partenaire d’analyse complaisant.

Dans l’analytique Web, cela signifie que nous risquons d’entendre ce que nous voulons savoir, plutôt que ce que nous devons savoir. Par exemple, si un gestionnaire souhaite savoir si une campagne fonctionne bien, ou s’il y a un goulot d’étranglement dans le parcours client pour la conversion sur un site Web, la réponse de l’IAG risque d’être biaisée d’avance. Si le gestionnaire émet l’hypothèse que le problème se situe à un certain endroit de la page, et le mentionne à l’IAG, celle-ci répondra fort probablement : « Cette supposition me semble très plausible ! 👏 » sans nécessairement contester ou questionner sa proposition.

Comment rendre l’IA plus franche et rester critique

Y a-t-il des moyens de passer outre ce biais pour utiliser les capacités d’analyse de l’IA à meilleur escient? Si même le PDG d’OpenAI, Sam Altman, est agacé par la gentillesse et la flatterie de ChatGPT, il est évident que des ajustements sont nécessaires. (Blog du Modérateur, 2025)

Pour obtenir des réponses plus précises et minimiser le biais d’accordabilité, une approche consiste à fournir un prompt à l’IAG pour qu’elle retire ses émotions et sa nature flatteuse. Cependant, les enjeux ne sont pas seulement techniques, ils sont également éthiques et organisationnels.

Il est impératif d’instaurer une culture de la vérification systématique (double check) des dires de l’IAG. Bien que l’IA soit un outil indispensable pour rester compétitif, il faut l’utiliser avec un esprit critique constant. Les organisations doivent sensibiliser leurs employés et mettre à leur disposition des cadres et des formations pour s’assurer qu’ils restent critiques face aux recommandations algorithmiques. 

Conclusion : Vers une symbiose humain-IA critique en analytique Web

Intégrer l’IA dans ses pratiques en analytique de données (descriptive, diagnostique, prédictive ou prescriptive) est jugé impératif. Mais le gain de temps et d’efficacité vaut-il des conseils biaisés ? Les détours pour rendre l’outil plus franc et les formations sont-ils suffisants pour contourner sa nature flatteuse?

Dans l’article “Artificial intelligence and the future of work: Human-AI symbiosis in organizational decision making”, l’auteur offre une perspective optimiste qui peut être appliquée à l’analytique Web. Il ne s’agit pas de rejeter l’IA, mais de viser une symbiose humain-IA où chaque partie apporte ses forces complémentaires.

L’IA quant à elle excelle à analyser d’énormes quantités de données (Big Data), à identifier des motifs complexes et à fournir des analyses rigoureuses pour réduire la complexité du domaine décisionnel. Dans l’analytique Web, cela signifie qu’elle est la meilleure pour collecter, traiter et analyser les données d’utilisateurs.

L’Humain, lui, représente l’avantage intuitif et social, il doit se concentrer sur les aspects qui nécessitent un jugement intuitif, une imagination et une créativité supérieures. Dans le contexte de l’analytique Web, il utilise son jugement pour orienter la recherche de données et surtout pour interpréter les résultats dans leur contexte social et politique. Il est indispensable pour gérer l’incertitude et l’équivocité, des aspects que l’IA ne peut saisir.

Il est donc temps de changer notre perspective sur l’IA : la menace du biais d’accordabilité et du déchargement cognitif nous rappelle que la vraie preuve de son intelligence ne réside pas dans sa capacité à nous flatter, mais dans sa capacité à nous pousser à penser plus profondément et plus clairement en nous forçant à devenir des partenaires plus critiques.

L’IA, trop gentille?

Références

BizTech Weekly. (2025). ChatGPT’s Sycophancy Crisis: How AI’s User-Affirming Bias Risks Mental Health, Ethics, and Relationshipshttps://biztechweekly.com/chatgpts-sycophancy-crisis-how-ais-user-affirming-bias-risks-mental-health-ethics-and-relationships/

Blog du Modérateur. (2025). ChatGPT vous flatte trop : comment rendre l’IA franche et directe ? https://www.blogdumoderateur.com/chatgpt-vous-flatte-trop-comment-rendre-ia-franche-directe/

Clubic. (2025). Cette étude de Stanford est formelle : l’IA vous flatte, et c’est un vrai problèmehttps://www.clubic.com/actualite-582139-cette-etude-de-stanford-est-formelle-l-ia-vous-flatte-et-c-est-un-vrai-probleme.html

Gerlich, M. (2025). AI Tools in Society: Impacts on Cognitive Offloading and the Future of Critical ThinkingSocieties15(1), 6. https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=5082524

IBM. (2024). L’analyse de données par l’IA (AI Analytics)https://www.ibm.com/fr-fr/think/topics/ai-analytics

Jarrahi, M. H. (2018). Artificial intelligence and the future of work: Human-AI symbiosis in organizational decision makingBusiness Horizons61(4), 577–586. https://www-sciencedirect-com.proxy2.hec.ca/science/article/pii/S0007681318300387?via%3Dihub

Nature News. (2025). LLMs are sycophantsNaturehttps://www.nature.com/articles/d41586-025-03390-0

Scientific American. (2024). Should You Be Nice to AI Chatbots Such as ChatGPT? https://www.scientificamerican.com/article/should-you-be-nice-to-ai-chatbots-such-as-chatgpt/

SciSimple. (2025). Les dangers de la sycophancie dans l’IAhttps://scisimple.com/fr/articles/2025-05-13-les-dangers-de-la-sycophancie-dans-lia–a3q8wme

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