On en parle partout 🔊 dans les entreprises, dans la rue, dans les écoles, l’intelligence artificielle ou IA est en train de transformer nos vies à une vitesse impressionnante. L’IA désigne un ensemble de systèmes capables de simuler certaines fonctions de l’intelligence humaine, comme apprendre, raisonner ou résoudre des problèmes.
Depuis quelques années, son adoption s’accélère dans tous les secteurs. Selon McKinsey (McKinsey, 2023), plus de 55 % des entreprises dans le monde utilisent aujourd’hui au moins une technologie d’IA.
Mais derrière ces innovations technologiques se cache un réel problème: l’IA consomme énormément en électricité, en eau et en matériel informatique. Son impact environnemental inquiète de plus en plus. En effet, l’entraînement et le déploiement de ces modèles exigent une puissance de calcul colossale, qui n’est pas sans conséquence pour la planète.
Dans ce contexte, la question qui nous vient à l’esprit est : dans quelle mesure le développement de l’intelligence artificielle est-il compatible avec les exigences de la transition écologique ? 🤔
Pour y répondre, nous allons d’abord revenir sur les technologies d’IA et les ressources dont elles ont besoin, puis explorer leurs impacts environnementaux. Nous verrons ensuite comment l’IA peut, à l’inverse, devenir un outil au service de l’écologie, avant d’aborder les controverses et enfin les pistes d’action vers une IA plus responsable.
Quels types d’IA et quels sont leurs besoins en ressources
Il existe plusieurs IA aux usages et aux impacts très différents. Pour mieux comprendre leur empreinte écologique, il faut d’abord les distinguer.
➡️D’un côté, on trouve les IA classiques. Certaines sont conçues pour une tâche précise comme les filtres de spam, les assistants vocaux…D’autres font référence à une intelligence capable de raisonner comme un humain, dans tous les contextes. Ces deux formes d’IA mobilisent des algorithmes puissants, mais leurs besoins en ressources varient. En phase d’entraînement, les modèles classiques peuvent être gourmands en données et en énergie, mais une fois déployés, ils sont souvent plus sobres. Par exemple, entraîner un modèle de détection d’images ou de recommandations peut consommer entre 50 et 200 kWh (Rozycki et al, 2025), soit l’équivalent d’une semaine d’électricité pour un logement moyen.
➡️De l’autre côté, il y a l’IA générative comme ChatGPT, DALL-E, Midjourney. Ces technologies reposent sur d’immenses modèles d’apprentissage automatique, capables de générer du texte, des images ou du son. Leur entraînement est extrêmement coûteux. En effet, il mobilise des centaines de cartes graphiques pendant des semaines, consomme énormément d’électricité, et exige aussi des millions de litres d’eau pour refroidir les serveurs. L’entraînement de GPT-3, par exemple, aurait généré plus de 500 tonnes de CO₂ et consommé des millions de litres d’eau pour le refroidissement des serveurs (Bolón-Canedo V. et al, 2024).
Maintenant que l’on comprend mieux les différentes formes d’IA et les ressources qu’elles mobilisent, il est temps de se pencher sur ce que cela implique concrètement pour l’environnement.
Impacts environnementaux de l’IA
Même si l’IA semble fonctionner dans le nuage, elle repose sur une infrastructure bien physique (Amoros S., Béland, M., 2024) qui soulève de sérieuses questions écologiques.
🟠Empreinte carbone massive
L’entraînement de modèles d’IA avancés consomme d’énormes quantités d’énergie, surtout lorsqu’ils utilisent des milliers de GPU pendant plusieurs semaines. Par exemple, une étude de l’Université du Massachusetts a estimé que l’entraînement du modèle BERT, avec 100 millions de paramètres, générait environ 283 tonnes de CO₂, soit l’équivalent de 300 vols aller-retour entre New York et S Francisco (Bailey N., 2024).
🟠Consommation d’eau
Pour éviter la surchauffe des serveurs, les centres de données ont besoin de systèmes de refroidissement très performants souvent basés sur l’utilisation d’eau. Selon des données internes d’OpenAI, une seule requête à ChatGPT pourrait consommer jusqu’à 0,5 litre d’eau (O’Brien & Fingerhut, 2023).
🟠Matériel informatique
Derrière chaque algorithme, il y a aussi du matériel : cartes graphiques (GPU), serveurs, puces spécialisées (TPU), disques durs, systèmes de refroidissement… La fabrication de ces composants mobilise des métaux rares comme le lithium, le cobalt ou les terres rares (World Economic Forum, 2023).
🟠Cycle de vie et déchets
Enfin, l’IA s’inscrit dans un cycle technologique très court. Les équipements informatiques sont rapidement remplacés pour suivre la course à la performance. Cela génère une quantité croissante de déchets électroniques, souvent peu ou mal recyclés. Selon l’Université des Nations Unies, le monde a généré plus de 62 millions de tonnes de déchets électroniques en 2022 et moins de 20 % de ces déchets sont officiellement recyclés (Baldé C. et al, 2024).
Malgré cette empreinte environnementale bien réelle, l’intelligence artificielle ne se résume pas à impacter négativement l’environnement. Utilisée de manière réfléchie, elle peut aussi devenir un véritable levier pour accélérer la transition écologique.
L’IA comme levier potentiel pour la transition écologique
Bien utilisée, l’IA pourrait devenir une alliée précieuse de la transition écologique. Voici comment :
🟢Optimiser la consommation énergétique
Dans les bâtiments, par exemple, des systèmes intelligents peuvent ajuster en temps réel le chauffage, l’éclairage ou la ventilation en fonction de l’occupation, de la météo ou des habitudes des usagers. Des smart grids ou réseaux électriques intelligents utilisent l’IA pour mieux équilibrer l’offre et la demande, réduire les pertes et intégrer plus facilement les énergies renouvelables.
🟢Surveiller et protéger l’environnement
Des algorithmes analysent aujourd’hui des images satellites pour suivre l’évolution des glaciers ou détecter des pollutions marines. Grâce à leur capacité à traiter des volumes massifs de données, ces outils permettent de réagir plus vite et de mieux cibler les actions de protection.
🟢Aider à prendre de meilleures décisions environnementales
Elle permet de modéliser l’impact de certaines politiques publiques (taxes carbone, subventions vertes …) ou de simuler des scénarios climatiques. Pour les gouvernements, les ONG ou les entreprises, cela permet de prendre de meilleures décisions stratégiques. Par exemple, le gouvernement néerlandais utilise des modèles d’IA pour simuler l’impact de ses politiques agricoles sur les émissions de gaz à effet de serre. En croisant des données météorologiques, économiques et agricoles, ces outils aident à anticiper les effets d’une réduction d’azote ou de l’usage des engrais sur les rendements et la pollution.
🟢Améliorer la logistique et l’agriculture
Enfin, l’IA peut aussi contribuer à une utilisation plus sobre des ressources, en particulier dans la logistique et l’agriculture. Grâce à l’analyse prédictive, les chaînes d’approvisionnement peuvent être rationalisées, les itinéraires optimisés et les stocks ajustés. Ce qui permet de réduire les émissions liées au transport et au gaspillage. En agriculture de précision, les capteurs intelligents combinés à l’IA permettent de surveiller les sols, doser précisément l’eau ou les engrais, et détecter les affections à un stade précoce.
Mais si l’IA peut effectivement contribuer à la transition écologique, encore faut-il que ses usages soient sincères et responsables. Car derrière les promesses vertes, certaines pratiques soulèvent des questions légitimes.
Controverses et débats
Prenons l’exemple de Google ou Meta. Ces géants affirment alimenter leurs centres de données avec 100 % d’énergies renouvelables et investissent dans des technologies d’IA pour réduire leur propre consommation énergétique (Meta, 2024) mais ces engagements cachent parfois des réalités moins reluisantes. D’une part, même en utilisant de l’électricité dite « verte », la fabrication du matériel (GPU, serveurs, puces…) continue de reposer sur des ressources non renouvelables. En effet, la consommation d’eau reste massive pour le refroidissement des serveurs. Plusieurs chercheurs, comme Frederick Marchand (Marchand F., 2025), dénoncent ces pratiques comme des manœuvres de communication : on compense l’image d’une technologie polluante par quelques actions visibles, sans s’attaquer aux racines du problème. Ce verdissement de façade permet surtout de séduire les investisseurs et les consommateurs.
Heureusement, certains chercheurs appellent à un véritable changement de paradigme. C’est le cas de Timnit Gebru, chercheuse en éthique de l’IA et ancienne membre de Google, qui milite pour une IA plus « lente », plus éthique et plus sobre. Elle appelle à sortir du modèle actuel fondé sur la puissance brute et à recentrer la recherche sur les impacts sociaux et environnementaux réels (Gebru T., 2022). Les idées mises en avant par ces experts sont, entre autres :
- Limiter la taille des modèles selon leur utilité réelle
- Encadrer la course à la performance avec des normes environnementales
- Rendre obligatoire la transparence sur l’empreinte écologique des systèmes d’IA
- Intégrer l’impact environnemental dans les critères de financement de la recherche et du développement
En somme, plutôt que de verdir l’image de l’IA à coups d’annonces marketing, il s’agit de revoir les priorités : produire et consommer moins et mieux.
Dans le cadre de notre travail, nous proposons des pistes concrètes pour développer une IA réellement éco-responsable, à tous les niveaux de la chaîne.
Pistes d’action : vers une IA éco-responsable
Pour limiter ses effets négatifs sur l’environnement, il est urgent de repenser le développement de l’IA, des algorithmes jusqu’aux usages quotidiens.
✅Écoconception
Dans un article de Xn Québec (Xn Québec, 2024), François Burra, consultant en numérique responsable, souligne que 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre proviennent aujourd’hui du seul secteur du numérique. Il est ainsi conseillé d’entraîner des modèles plus petits, plus ciblés, ou utiliser des techniques comme l’apprentissage fédéré ou l’entraînement par transfert, qui nécessitent moins de données et donc moins d’énergie. Réduire la taille d’un modèle sans en sacrifier l’efficacité permettrait de limiter son empreinte carbone, tout en maintenant ses performances pour des tâches spécifiques.
✅Régulation et normes
Des normes contraignantes pourraient encadrer la consommation d’énergie des centres de données, interdire certaines pratiques comme l’obsolescence programmée, ou encore rendre obligatoire l’affichage du bilan carbone des grands modèles. C’est aussi un moyen de mieux encadrer la gestion des déchets électroniques, souvent négligée dans l’industrie.
✅Infrastructures plus sobres
L’infrastructure matérielle qui supporte l’IA (serveurs, GPU, systèmes de refroidissement) représente une part majeure de son coût environnemental. Il est donc crucial de développer des centres de données plus sobres, basés sur des énergies réellement renouvelables, utilisant des technologies de refroidissement passif ou circulaire, et optimisés pour la longévité des équipements.
✅Rôle des organisations et des citoyens
Enfin, chacun a un rôle à jouer. Les entreprises peuvent revoir leur stratégie numérique : éviter l’usage d’IA là où une solution plus simple suffit, mutualiser les ressources, ou encore sensibiliser les équipes aux impacts environnementaux.
Les citoyens, quant à eux, peuvent adopter une sobriété numérique, poser des questions critiques sur les outils qu’ils utilisent, et préférer des services écoresponsables. Car chaque requête compte : consommer moins de cloud, c’est déjà polluer moins.
Quoi retenir? 🤓
L’intelligence artificielle est sans conteste un outil puissant, capable de transformer nos sociétés, nos économies, et même notre manière de penser l’écologie. Mais cette puissance a un prix : l’IA est aujourd’hui écologiquement coûteuse, que ce soit en énergie, en eau, en matériaux ou en déchets. Alors, IA et transition écologique sont-elles compatibles ? La réponse est relative aux choix que nous faisons. Une véritable compatibilité est possible si les critères environnementaux deviennent des priorités dans chaque phase de développement, du choix des algorithmes à la gestion des infrastructures. Cela implique une responsabilité partagée : aux chercheurs de concevoir autrement, aux entreprises de ralentir la course à la performance, aux gouvernements de réguler avec ambition, et aux citoyens de faire des choix numériques plus conscients. Ce n’est qu’en repensant collectivement notre rapport au numérique que l’IA pourra réellement contribuer à un futur plus durable.
Alors maintenant qu’on sait tout ça… qu’est-ce que toi, en tant que citoyen, tu choisis de faire ? Mets-le dans les commentaires 😉👇
Nos sources
McKinsey & Company. (2023, 1er août). The state of AI in 2023: Generative AI’s breakout year. McKinsey Global Survey. https://www.mckinsey.com/capabilities/quantumblack/our-insights/the-state-of-ai-in-2023-generative-AIs-breakout-year
Różycki R., Solarska D., & Waligóra G. (2025). Energy‑Aware Machine Learning Models – A Review of Recent Techniques and Perspectives. Energies, 18(11), 2810. https://doi.org/10.3390/en18112810
Bolón-Canedo, V., Morán-Fernández, L., Cancela, B., & Alonso-Betanzos, A. (2024). A review of green artificial intelligence: Towards a more sustainable future. Neurocomputing, 599, 128096. https://doi.org/10.1016/j.neucom.2024.128096
Amoros, S., Béland M. (2024). Vers un numérique durable. Revue Gestion HEC Montréal. https://www.revuegestion.ca/vers-un-numerique-durable
Bailey, N. (2024, 2 septembre). The Carbon Footprint of LLMs — A Disaster in Waiting? Medium. https://nathanbaileyw.medium.com/the-carbon-footprint-of-llms-a-disaster-in-waiting-6fc666235cd0
Neurocomputing, A review of green artificial intelligence: Towards a more sustainable future, Sept 2024, Verónica Bolón-Canedo, Laura Morán-Fernández, Brais Cancela, Amparo Alonso-Betanzos (consommation) à dégager
O’Brien M. and Fingerhut H. (2023). Artificial intelligence technology behind ChatGPT was built in Iowa – with a lot of water. AP News. https://apnews.com/article/chatgpt-gpt4-iowa-ai-water-consumption-microsoft-f551fde98083d17a7e8d904f8be822c4
World Economic Forum. (2023). Lithium: Here’s why Latin America is key to the global energy transition. https://www.weforum.org/agenda/2023/04/lithium-latin-america-global-energy-transition/
Baldé, C. P., Kuehr, R., Forti, V., Bel, G., & al. (2024). Global E‑Waste Monitor 2024: Electronic waste rising five times faster than documented e‑waste recycling. United Nations Institute for Training and Research (UNITAR) / International Telecommunication Union (ITU).
Meta Platforms. (2024). Data Centers. Meta Sustainability.
Marchand, F. (2025). L’IA durable n’existe pas. Annales des Mines – Enjeux numériques, 29(1), 43–49. https://doi.org/10.3917/ennu.029.0043
Gebru, T. (2022). Timnit Gebru is building a “Slow AI” movement. IEEE Spectrum. https://spectrum.ieee.org/timnit-gebru-dair-ai-ethics
Xn Québec. (2024). Développement durable numérique : comment faire les premiers pas? Xn Québec.