
Le client: humain ou numéro?
Le client est-il encore un être humain ou une simple combinaison de chiffres dans un CRM1? À travers l’automatisation des processus, l’intelligence artificielle générative, l’expérience client guidée par le digital, la relation entre les marques et le consommateur délaisse peu à peu sa dimension humaine, le service à la clientèle prend soudainement un aspect robotique. En effet, e-mails « personnalisés » mais totalement impersonnels, chatbots 2sans émotion, parcours déshumanisés… Le digital promeut sans cesse des expériences optimales, mais à quel prix? Les interactions avec les marques reposent elles encore sur des connexions réelles ou seulement sur une logique d’efficacité algorithmique? Ainsi, c’est l’heure de questionner cette dérive vers la déshumanisation.
1. Pourquoi parle-t-on de déshumanisation dans l’expérience client?

L’expérience client telle qu’on la connaît s’est transformée en réel terrain de jeu technologique. Chatbots, e-mails automatisés, réponses téléphoniques prédéfinies… Les outils visant à optimiser l’expérience client sont nombreux mais derrière cette course vers l’efficacité, où est passé le lien humain?
De plus, plusieurs consommateurs perçoivent ces outils comme une diminution de la qualité du service client. Derrière les messages «personnalisés» générés par des algorithmes les consommateurs sont souvent rejoints par des interactions mécaniques3 sans réelles écoute. Le client se transforme peu à peu en un numéro dans une base de donnée
Prenons l’exemple concret le plus courant : le service client des compagnies téléphoniques. Nous avons tous vécu ces situations où il a fallu tester l’expérience client de notre compagnie de service téléphonique. Il faut souvent passer à travers de nombreux menus automatisés avant de parler à un humain. Dans la majorité des cas, même en utilisant les applications censées simplifier l’échange, on tombe sur un chatbot qui redirige vers des FAQ4. Autrement dit, de nos jours, il ne s’agirait pas d’une bête exagération que de dire qu’il est plus simple de se présenter en magasin que de passer par le chemin digital pour parler à un agent humain.
C’est là qu’on peut pleinement ressentir la déshumanisation : quand la relation client ne devient qu’une série d’interactions prévisibles et automatisées, centrée sur l’efficacité, vide de sens.
2. Les causes de la déshumanisation: la quête d’efficacité avant tout

La tendance vers la déshumanisation n’est pas un hasard. C’est le résultat d’une quête d’efficacité, d’une stratégie marketing et opérationnelle guidée par l’optimisation. Dans l’environnement digital ultra-compétitif d’aujourd’hui, les compagnies cherchent avant tout à « scaler 5» leurs interactions clients (plus vite, plus simple, plus rentable).
L’automatisation est la réponse facile à ce besoin. En automatisant leurs processus, les entreprises peuvent traiter un plus grand volume de demande, anticiper les comportements de leurs clients et ainsi personnaliser leur expérience. Or, tous les efforts sont mis pour optimiser la relation, non pour la rendre plus humaine.
En tant que compagnie, en optant pour la déshumanisation de l’expérience client, il ne faut pas oublier que l’efficacité logistique ne garantit pas la meilleure expérience. Un chatbot peut aider à régler un problème technique mais il ne pourra jamais faire preuve d’empathie. Un e-mail automatique pourra informer mais ne pourra jamais créer un lien avec le client. Vous comprenez l’idée.
Par conséquent, à travers la quête d’efficacité, le consommateur se transforme en série de chiffres se promenant dans l’entonnoir de conversion6. Pourtant, derrière chaque clic se trouve un besoin humain. Cet écart entre efficacité opérationnelle et le besoin d’humanité dans les interactions est au cœur du malaise qu’apporte la déshumanisation.
3. Risques pour les marques

Plus les marques déshumanisent les interactions, plus elles fragilisent le lien émotionnel avec leurs clients. De nos jours, ce lien est un outil qui peut être utilisé comme levier de différenciation et de fidélisation. Quand l’expérience est trop froide et impersonnelle, le client ne se sent pas considéré. Un client indifférent est prompt, moins engagé ce qui pourrait nourrir l’envie de magasiner chez un compétiteur.
Les résultats de cette vague d’automatisation des services peuvent être ressentis à travers différents indicateurs. Parmi ceux-ci: le taux de churn7, l’engagement/la durée des sessions en ligne et le taux de satisfaction général. Ces impacts peuvent aller jusqu’à une atteinte à la réputation causée par une accumulation d’expériences négatives. L’opinion du consommateur est mise au premier plan dans l’économie actuelle (google reviews, commentaires sur publications, etc…), chaque expérience négative peut laisser une trace.
Plus encore, une entreprise affirmant une stratégie de « centralisation client8 » qui automatise ses services et son expérience digitale perd une part de crédibilité. Tout écart entre les promesses marketing et l’expérience vécue affecte négativement l’authenticité perçue de la marque.
Enfin, l’essor de l’IA et de l’automatisation mènent certaines marques à négliger la dimension humaine. En ayant une expérience sans proximité, sans émotion, ces entreprises risquent d’offrir des services sans élément de différenciation, les transformant en marques interchangeables9.
4. Comment réhumaniser l’expérience client?

Heureusement, la déshumanisation ne rime pas forcément avec décrépitude 10de l’expérience client. C’est possible d’utiliser le numérique de façon plus considérée et de réconcilier l’efficacité numérique à la proximité émotionnelle. Il faut que l’humain retrouve sa place au cœur des stratégies digitales.
Cela commence par une personnalisation sincère, au-delà du prénom inséré dans un e-mail. Il faut mettre des efforts pour comprendre les attentes du client, ses réactions, ses préférences. Ainsi, les maques peuvent utiliser ces informations pour proposer un service qui colle avec la réalité, pas seulement avec son profil digital.
Avec le niveau de développement de l’IA actuel, un chatbot bien conçu peut être conversationnel, empathique et chaleureux. Il ne faut pas mélanger les cartes. Le chatbot devrait être un prolongement du service client, pas un agent à part entière muni de réponses automatiques.
Certaines solutions sont peu complexes, comme l’intégration de points de contacts humains à travers le parcours digital : une vidéo explicative, modèle d’assistance hybride (humain/IA), etc… Car parfois, une écoute humaine vaut plus que mille automatisations.
Au final, la solution réside peut-être dans une restructuration des CRM, une révision de leur mission. Ainsi, les marques pourraient les faire passer d’un outil de marketing froid à un système de relation sensible, qui cherche à comprendre la réalité humaine du client.
Déshumanisation, à quoi s’attendre?
Plus le digital prend de l’avance sur les échanges traditionnels, plus l’expérience client risque de perdre ce qui faisait sa richesse : le lien humain. Malgré les gains logistiques indéniables de l’automatisation, il ne faut pas perdre de vue la proximité, l’émotion et la considération du client. Car au-delà des chiffres et des algorithmes se trouve un être humain en quête d’écoute et de sens.
En terminant, il est rationnel de penser que la performance de demain ne résidera plus seulement dans la précision et la vitesse des interactions, mais dans l’habileté des marques à créer des expériences humaines. Et si on utilisait la technologie pour amplifier le relationnel plutôt que de l’effacer?
Références
Marietti, M. (2024, 4 Novembre). De la déshumanisation à l’humanisation : le rôle de l’IA dans la relation client. Proactive Academy.
Cornet, B. (n.d.). Déshumanisation relation client et logiciel CRM.
McGill Newsroom. (2023, 20 septembre). Robots doués d’émotions : la réaction des clients n’est pas toujours positive. McGill University
Porter, I. (2024, 5 mars). Des voix dénoncent la déshumanisation des services d’aide sociale. Le Devoir
Elakhrashassan. (2024, 7 Novembre). Comment les chatbots peuvent-ils améliorer le service client en ligne ? Digital HEC Montréal
Notes de bas de page
- Customer Relationship Management (système de gestion de la relation client), ensemble d’outils, de technologies et de stratégies utilisés par une entreprise pour gérer, analyser et améliorer ses interactions avec ses clients et prospects, tout au long de leur parcours. ↩︎
- Programme informatique capable de simuler une conversation humaine, généralement via texte (comme dans une messagerie) ou voix. ↩︎
- Échanges automatisés, rigides et sans dimension humaine ou émotionnelle. Ce sont des interactions où la communication est préprogrammée, standardisée, souvent répétitive, et où l’écoute, l’adaptation ou l’empathie sont absentes. ↩︎
- Frequently asked questions (questions fréquentes) ↩︎
- Adapter à grande échelle ↩︎
- Le tunnel de conversion désigne le parcours que suit un client potentiel depuis sa première interaction avec une marque jusqu’à l’action finale souhaitée. ↩︎
- Le taux de churn représente le pourcentage de clients qui cessent d’utiliser un produit ou un service sur une période donnée. C’est un indicateur clé de fidélisation client : plus le taux de churn est élevé, plus l’entreprise perd de clients. ↩︎
- Une stratégie de centralisation client (« customer-centric ») désigne une approche dans laquelle l’ensemble des décisions, des processus et des actions d’une entreprise sont guidés par les besoins, attentes et comportements de ses clients. ↩︎
- On parle de marques interchangeables lorsque plusieurs entreprises proposent des produits ou services si similaires qu’aucune ne se distingue réellement aux yeux des consommateurs. Autrement dit, le client n’y voit plus de valeur émotionnelle, relationnelle ou identitaire spécifique, ce qui rend le choix entre l’une ou l’autre indifférent. ↩︎
- État de dégradation avancée, de déclin progressif ou de détérioration physique ou morale.
C’est un mot assez fort, souvent utilisé pour évoquer quelque chose qui perd sa vitalité, sa qualité ou sa valeur au fil du temps. ↩︎