L’impact des algorithmes de recommandation : enjeux de visibilité des œuvres cinématographiques sur les plateformes de streaming

Par bouquetlea
10 novembre 2025 · 0 vues
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« 80 % du contenu visionné sur Netflix provient des recommandations algorithmiques » (Gomez-Uribe & Hunt, 2016).

Ce chiffre surprenant révèle l’ampleur du pouvoir des algorithmes sur nos choix cinématographiques. En effet, depuis plusieurs années, le succès des plateformes de streaming de cinéma n’a cessé de progresser. Avec des systèmes de recommandation de plus en plus précis et efficaces, ceux-ci façonnent en arrière-plan notre rapport au cinéma et posent divers enjeux de visibilité pour certaines œuvres. Si les algorithmes offrent une personnalisation de l’expérience utilisateur sans précédent, ils soulèvent également divers enjeux ainsi que des questions cruciales sur la diversité culturelle et l’équité dans la distribution des contenus.

Les algorithmes de recommandation

Les systèmes de recommandation reposent principalement sur deux approches complémentaires : le filtrage collaboratif et le filtrage basé sur le contenu. Le premier analyse les comportements de visionnage d’utilisateurs aux profils similaires pour suggérer des contenus, tandis que le second se base sur les caractéristiques intrinsèques des films (genre, réalisateur, acteurs) pour établir des liens avec les préférences de l’utilisateur (Celma, 2009).

Ces algorithmes existent notamment pour réduire le large choix de films ou séries présentes sur la majorité des plateformes de streaming, qui paralyse souvent les utilisateurs. Ceux-ci jouent le rôle de filtres intelligents et favorisent la satisfaction utilisateur (Pariser, 2011). De plus, ils permettent une personnalisation remarquable de l’expérience. Un amateur de documentaires policiers ou un spectateur de blockbusters accèdera à des suggestions ciblées correspondant à ses goûts et ses préférences.

Les limites de la personnalisation

Enjeux de diversité

D’un autre côté, cette large personnalisation génère également ce que les chercheurs appellent la « bulle de filtres » ou « filter bubble » (Pariser, 2011). En privilégiant ce qui ressemble à nos choix passés, les algorithmes nous enferment progressivement dans des univers culturels restreints. Celma (2009) démontre dans ses recherches que les algorithmes de recommandation musicaux – dont les mécanismes sont similaires à ceux du streaming vidéo – tendent à renforcer les préférences existantes plutôt qu’à encourager l’exploration.

Un utilisateur qui consomme principalement des comédies romantiques verra son interface saturée de ce type de contenu, réduisant ses chances de découvrir un film d’un autre genre. Comme le souligne Ricci (2018) dans Hermès, cette logique de recommandation « crée des parcours de consommation prévisibles qui appauvrissent l’expérience culturelle ». Le public explore donc de moins en moins en se concentrant sur des genres et types de productions similaires. Selon une étude publiée dans Management Science, les utilisateurs de services de recommandation consultent en moyenne 30 % moins de catégories différentes que ceux qui naviguent sans assistance algorithmique (Fleder & Hosanagar, 2009).

Enjeux de découvrabilité

Au-delà de l’expérience utilisateur, les algorithmes de recommandation influencent sur l’accessibilité et la visibilité de certains films, favorisant donc certains types de productions. Les blockbusters et grosses productions par exemple, bénéficient d’un avantage considérable. Grâce à leurs budgets marketing colossaux, ces films génèrent rapidement un volume important de visionnages, ce qui améliore leur positionnement algorithmique (Fleder & Hosanagar, 2009). Ce phénomène s’auto-entretient : plus un film est recommandé, plus il est visionné, plus il est recommandé.

De plus, les œuvres produites ou financées par les plateformes profitent également d’une mise en avant privilégiée. Netflix, Amazon Prime Video ou Disney+ intègrent dans leurs algorithmes des paramètres qui favorisent leurs contenus originaux. Comme le rappelle Dominique Cardon, « les algorithmes ne sont jamais neutres ; ils incarnent des choix politiques et économiques ». Cette stratégie pose des questions éthiques majeures sur l’équité du traitement des œuvres.

À l’inverse, les films indépendants ou encore les documentaires peinent à émerger dans cet environnement. Étant moins mises de l’avant, ces productions réussissent moins bien à être vu, créant un cercle vicieux où seules les œuvres déjà populaires accèdent à la visibilité (Cardon & Cointet, 2018).

Des pistes de solutions

Face à ces enjeux, plusieurs pistes de solutions se présentent. L’instauration de quotas de recommandation pourrait garantir un pourcentage minimal de suggestions d’œuvres indépendantes, de productions locales ou de films issus d’une communauté minoritaire. Le modèle des quotas appliqués à la diffusion télévisuelle en France par exemple, pourrait inspirer celui des plateformes numériques. La loi française impose déjà aux plateformes d’investir dans la production française et européenne. Celle-ci pourrait être étendue aux algorithmes de recommandation à travers le monde. De plus, obliger les plateformes à être plus transparent et à partager les critères utilisés par leurs systèmes de recommandation permettrait de mieux comprendre leurs fonctionnement en profondeur et d’exiger certains ajustements.

Mais légiférer et contrôler ne suffit pas. Un travail éducatif profond s’impose pour développer chez les spectateurs une conscience critique face aux recommandations algorithmiques. Il reste nécessaire que la population développe une réflexion sur ces mécanismes de personnalisation. Ainsi, encourager la curiosité culturelle et l’exploration active aurait un réel impact sur la diversité et la découvrabilité des oeuvres.

D’ailleurs, certaines plateformes expérimentent déjà d’autres méthodes. Spotify propose un mode « découverte » qui privilégie l’accessibilité à de nouvelles oeuvres. Des initiatives similaires dans le streaming vidéo ou des recommandations aléatoires contrôlées, pourraient diversifier le parcours et l’expérience de l’utilisateur.

Conclusion

Les algorithmes de recommandation exercent une importante influence sur notre consommation cinématographique et sur la visibilité des œuvres. S’ils offrent sans aucun doute un confort de navigation en proposant une pré-sélection liée aux préférences de l’utilisateur, ils génèrent aussi des effets négatifs tels qu’un manque de diversité culturelle, une homogénéisation des goûts et un manque de visibilité des productions plus « de niche ». Face à cette réalité, il reste important de réguler les pratiques des plateformes pour garantir la diversité et éduquer les publics pour cultiver leur esprit critique et leur curiosité.

Références

Cardon, D., & Cointet, J.-P. (2018). Ce que les algorithmes font à la critique. Hermès, La Revue, 80(1), 185-192. https://doi.org/10.3917/herm.080.0185

Celma, Ò. (2009). Music recommendation and discovery in the long tail [Thèse de doctorat]. Universitat Pompeu Fabra.

Fleder, D., & Hosanagar, K. (2009). Blockbuster culture’s next rise or fall: The impact of recommender systems on sales diversity. Management Science, 55(5), 697-712. https://doi.org/10.1287/mnsc.1080.0974

Gomez-Uribe, C. A., & Hunt, N. (2016). The Netflix recommender system: Algorithms, business value, and innovation. ACM Transactions on Management Information Systems, 6(4), 1-19. https://doi.org/10.1145/2843948

Pariser, E. (2011). The filter bubble: What the Internet is hiding from you. Penguin Press.

Ricci, D. (2018). La carte et le territoire des données. Hermès, La Revue, 80(1), 167-175.

Steck, H. (2018). Calibrated recommendations. Proceedings of the 12th ACM Conference on Recommender Systems, 154-162. https://doi.org/10.1145/3240323.3240372

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