De plus en plus, les consommateurs votent avec leur portefeuille. En effet, l’engagement des marques devient un enjeu majeur, car les valeurs politiques et sociales sont devenues des facteurs déterminants dans les décisions d’achat des consommateurs, selon une étude de The Loyalty Science Lab (2023). L’époque où la seule responsabilité d’une entreprise était de vendre un produit et de réaliser des bénéfices semble être bien terminée. Aujourd’hui, les marques créent des identités fortes et des communautés basées sur des valeurs communes, permettant aux consommateurs de s’identifier à elles. Cela a pour but de créer chez ces derniers un sentiment d’appartenance à un groupe et un sens d’identité.
Les marques se trouvent confrontées à une question importante : quel rôle doivent-elles jouer dans ces discussions ? Doivent-elles prendre publiquement position sur des enjeux qui touchent directement leurs consommateurs ? Comment une entreprise peut-elle gérer son engagement public, sachant qu’il peut susciter des critiques et des controverses et, par le fait même, influencer sa performance économique ?
L’étude de Kim & He (2025) montre que les marques ne sont plus seulement des entités commerciales, mais des acteurs sociaux capables d’influencer les attitudes et les comportements collectifs. En prenant position sur des enjeux comme la justice sociale, l’environnement ou les droits de la personne, elles participent activement au débat public — un rôle historiquement réservé aux gouvernements ou aux ONG. Pour rester pertinentes, les marques ne peuvent plus ignorer les enjeux sociaux en lien avec leur clientèle cible tout en veillant à leur image de marque.
Nouvelles attentes des consommateurs
Les entreprises ont tout intérêt à prendre position sur les questions sociales et environnementales, car selon une enquête menée par Accenture réalisée en mars 2018, 62 % des consommateurs affirment que leurs décisions d’achat sont motivées par les valeurs éthiques et l’authenticité d’une entreprise. En effet, pour assurer sa pérennité, il est crucial de comprendre les habitudes d’achat et de comprendre l’évolution des attentes des consommateurs.
La génération Z et l’engagement des marques
La Génération Z adopte une approche beaucoup plus consciente et exigeante vis-à-vis des marques. On observe que cette génération a tendance à investir dans des entreprises partageant les mêmes valeurs qu’elle. Selon l’article d’Emarketer Gen Z: What marketers need to know about this generation, la Génération Z aborde le magasinage avec prudence. Elle effectue des recherches approfondies avant d’acheter et privilégie avant tout l’authenticité. Ses habitudes d’achat révèlent des changements importants. Vu le contexte économique dans lequel les jeunes ont grandi, ils sont prêts à payer plus cher pour des marques qui correspondent à leurs valeurs, si celles-ci sont authentiques. C’est une génération qui repère immédiatement l’activisme de façade et n’a pas peur de le dénoncer publiquement.

Au-delà de la Génération Z, les chiffres sont éloquents : selon le Kearney Consumer Institute, deux consommateurs américains sur cinq ont boycotté une marque au cours des 12 derniers mois et 51 % ont cessé d’acheter des produits de marques qui ne correspondaient pas à leurs valeurs. On remarque cette tendance chez les Gen Z également. Effectivement, 53% déclarent avoir participé ou avoir l’intention de participer à un boycott économique, soit plus que toute autre génération, selon un sondage Harris réalisé en mars 2025.
La nouvelle génération prône la transparence et ne se contente plus des beaux discours, les marques ne peuvent plus rester neutres face aux grands enjeux de société, car cela peut entraîner une réaction de ces consommateurs qui peut nuire à leur image de la marque.
L’engagement des marques : un pari risqué, mais payant
Le cas Nike

Pour y arriver, les entreprises doivent avant tout répondre aux attentes de leurs clients cibles et aligner leur message avec leurs valeurs fondamentales. Nike a soutenu le joueur de NFL Colin Kaepernick, qui dénonçait les inégalités raciales en s’agenouillant pendant l’hymne national en 2018. Cela a eu comme conséquence une chute de l’action de 3 %, soit environ 4 milliards de dollars perdus, et une vague de boycottage. Sur les réseaux sociaux, les réactions ont même été jusqu’à brûler des produits Nike. Un mois plus tard, le titre avait rebondi de 5 % et atteint un record, avec un fort gain d’abonnés sur les réseaux sociaux.
Nike a prouvé qu’assumer ses valeurs peut devenir un atout, si la marque connaît son public et reste cohérente. Comme une part importante de sa clientèle provient des milieux sportifs et culturels, où les questions de justice sociale et d’égalité occupent une place centrale, en soutenant Colin Kaepernick en 2018, Nike a non seulement affirmé ses valeurs, mais a également soutenu la communauté qui fait vivre sa marque. Selon Kim et He (2025), l’effet d’une prise de position dépend de la perception de sincérité. Une marque perçue comme « motivée par ses valeurs » suscite admiration et fidélité, alors qu’une marque jugée opportuniste provoque colère et boycottage.
Cette dynamique illustre bien que le rôle des marques dans les débats sociétaux repose avant tout sur l’authenticité de leur engagement. En effet, les marques qui choisissent de prendre position sur le plan politique ou social doivent le faire après avoir acquis une compréhension approfondie de leur public et suivi de près l’évolution des débats et de la polarisation. Avant de prendre une telle décision, elles doivent tenir compte de la pertinence des questions politiques ou sociales dans les décisions de consommation.
S’exprimer peut renforcer ou affaiblir une marque. Il est donc important de faire preuve de prudence. Prendre position peut susciter beaucoup de réactions. Il y a beaucoup d’avantages, comme on le voit avec l’exemple de Nike, on peut gagner une clientèle très fidèle. Être engagé peut devenir un point de différenciation avec nos concurrents. Quelle que soit la stratégie choisie, une marque doit être prête à perdre des clients en chemin. Cela peut se produire si sa position ne correspond pas aux valeurs de son public cible ou si elle contredit son image et donne lieu à des accusations d’opportunisme. Le tout peut être accentué par la pression médiatique.
Le cas Lush

En novembre 2021, la marque Lush a décidé de ne plus être présente sur les réseaux sociaux, c’est-à-dire Instagram, Facebook, TikTok et Snapchat, pour dénoncer le manque de mesures prises par ces plateformes pour protéger la santé mentale. Présente dans 48 pays, la marque a préféré sacrifier un canal de marketing majeur plutôt que de compromettre ses convictions. Cette décision audacieuse a renforcé sa crédibilité, puisque Lush ne se contente pas de parler d’éthique, mais qu’elle l’applique, même au prix d’une perte de visibilité considérable. Lush a fait ce choix avec sincérité et constance, privilégiant l’authenticité et la cohérence à la visibilité.
Les consommateurs réagissent fortement aux prises de position des marques : ils les admirent quand elles paraissent sincères… ou les rejettent quand elles semblent opportunistes. (Kim & He, 2025). L’engagement des marques ne doit pas se limiter à des slogans : il doit devenir une pratique transparente, concrète et durable.
Incarner ses valeurs sans prendre parti, c’est possible?
S’engager n’est plus seulement un choix moral, c’est devenu une stratégie de différenciation et un moyen de faire changer les choses dans une société aussi connectée. Cependant, l’engagement des marques n’est pas sans risques. Même une campagne sincère peut polariser les consommateurs ou être perçue comme opportuniste si les actions internes ne suivent pas les déclarations publiques.
Il n’est pas nécessaire qu’une marque s’engage activement dans les débats sociaux pour démontrer ses valeurs. Elle peut le faire en adoptant des pratiques internes favorisant la diversité, la transparence ou la durabilité. Dans certains cas, cette approche discrète peut être perçue comme plus authentique si elle est appuyée par des actions concrètes plutôt que par des déclarations publiques.
Toutefois, dans un univers numérique où les consommateurs réclament de plus en plus de transparence, l’absence de prise de position peut être perçue comme un manque de courage ou d’engagement. Que se passe-t-il si une organisation décide plutôt d’opter pour une véritable neutralité ? Il semble de moins en moins approprié de rester silencieux : 68 % des consommateurs estiment que les marques devraient exprimer leurs valeurs selon l’article Consumer Boycotts Gain Traction d’Emarketer. Cette décision doit toutefois être adaptée en fonction du contexte, de la culture d’entreprise et des attentes spécifiques de la clientèle ciblée.
Comment renforcer l’authenticité de l’engagement des marques?
Pour que l’engagement des marques dans les grands débats sociétaux soit crédible, il doit aller au-delà des belles paroles. Trois pistes simples peuvent aider les entreprises à rendre leurs actions plus concrètes et à maintenir un lien de confiance avec les consommateurs.
- D’abord, la transparence. Les marques devraient communiquer clairement sur ce qu’elles font réellement, par exemple en publiant des rapports accessibles sur leurs actions sociales et environnementales. Cela permet aux consommateurs de savoir si les promesses sont tenues.
- Ensuite, la cohérence. Il est essentiel que les messages diffusés dans les campagnes soient en accord avec les pratiques internes. Une marque qui prône la diversité ou l’écologie doit le montrer avant tout dans ses conditions de travail, dans le choix de ses fournisseurs et dans sa gestion quotidienne des opérations de l’entreprise.
- Enfin, la durabilité. Seules la cohérence entre le discours et la pratique à long terme permet d’instaurer une crédibilité réelle auprès du public.
En somme, les marques peuvent jouer un rôle social incontournable. Leur engagement, lorsqu’il est authentique et aligné avec leurs pratiques et leur public cible, devient une véritable force de transformation. Toutefois, cela n’est pas aussi simple : il faut souligner que, même lorsqu’une marque agit avec authenticité, son message peut être mal interprété par les médias ou même instrumentalisé.
Conclusion
À l’ère numérique, l’opinion publique est volatile et difficile à contrôler, ce qui peut rapidement transformer une initiative bien intentionnée en controverse. Il est important de rester prudent et de choisir les débats qui correspondent le mieux à la marque. Une entreprise ne doit pas prendre part à tous les débats sociaux.
Les entreprises ont tout à gagner à s’engager dans les questions sociales majeures, à condition que cette démarche soit alignée avec leurs valeurs et leur public cible.
À travers le numérique, les entreprises participent de plus en plus aux discussions et leur rôle dépasse largement la vente de produits : elles sont devenues des actrices sociales et culturelles. Mais pour que cet engagement ait du sens, il doit être authentique, cohérent et aligné avec des actions concrètes.
Les marques ont le pouvoir d’inspirer et d’éduquer, mais aussi la responsabilité d’agir avec intégrité. Le numérique responsable offre ici une opportunité : utiliser la puissance des plateformes pour diffuser des messages porteurs de sens.
Sources
Loyalty Science Lab. (2023). The politics of brand loyalty. Medium. https://loyaltysciencelab.medium.com/the-politics-of-brand-loyalty-c1a0309246e8
Kim, S., & He, Z. (2025). Brand activism in the digital era: How corporate engagement in social issues influences consumer trust and loyalty. Journal of Business Research, 174, 114563. https://www-sciencedirect-com.proxy2.hec.ca/science/article/pii/S0148296325005272
Revue Gestion. (2023). Gérer sa marque à l’ère de la polarisation. https://www.revuegestion.ca/gerer-sa-marque-a-lere-de-la-polarisation
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Avery, Jill, and Koen Pauwels (2020.)”Brand Activism: Nike and Colin Kaepernick.” Harvard Business School Teaching.
Kate Gibson(2018) “Colin Kaepernick is Nike’s $6 billion man.” CBSnews.https://www.cbsnews.com/news/colin-kaepernick-nike-6-billion-man/#:~:text=Nike%20shares%20have%20surged%2036,to%20the%20company’s%20market%20value.
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