La nouvelle ère des campagnes politiques: publicité ciblée et utilisation des données des électeurs

Par pellerinerika
18 mars 2025 18
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 Lors des élections pour la présidence américaine en 2024, nous avons été témoins de l’essor des campagnes politiques digitales, qui utilisaient un levier d’analyse de données sophistiqué afin de viser un public cible. Ce qui a permis ainsi de toucher des électeurs déjà convaincus, mais aussi des publics qui, selon les statistiques, n’ont pas l’habitude d’aller voter. Ce changement de cap a permis aux candidats à la course électorale de se connecter avec leur public et de leur transmettre leurs idées et projets de manière plus vulgarisée, en dehors des cadres traditionnels des campagnes politiques.

Les partis politiques mettent de plus en plus de côté les campagnes traditionnelles et comptent sur les réseaux sociaux et les annonces en ligne. La possibilité de viser un public très précis, d’adapter son message pour chacun de ces groupes et d’avoir accès aux données démographiques des électeurs est un atout crucial dans les campagnes politiques modernes.

La croissance des dépenses en marketing numérique durant la campagne américaine de 2024

Cette transition vers des campagnes électorales digitales a vu le jour durant la pandémie de la COVID-19, qui limitait les activités électorales traditionnelles. On estime les dépenses en publicités numériques sur les réseaux sociaux à 1,6 milliard de dollars pour la campagne électorale de 2020 (Allcott et al., 2024). Une fois la pandémie terminée, un retour absolu vers les campagnes traditionnelles n’était pas dans les plans des différents partis politiques.

Selon plusieurs analyses basées sur les données publiques de Google et Meta, pour les élections de 2024, les dépenses en publicités numériques ont atteint 1,35 milliard de dollars sur les deux plus grandes plateformes de publicité numérique (« Online Ad Spending In The 2024 Election Topped $1.35 Billion », 2024).

Les dépenses en marketing numériques sur Meta et Google en faveur des démocrates ont été trois fois plus élevées que pour les républicains (« Online Ad Spending In The 2024 Election Topped $1.35 Billion », 2024). Précisément, les équipes de campagne ont dépensé plus de 400 millions de dollars en publicités et en contenu numérique pour la candidate démocrate, Kamala Harris, et 142 millions pour le candidat, et maintenant président, Donald Trump. Toutefois, on a reconnu que le parti républicain a migré ses dépenses en publicités numériques vers d’autres plateformes dont les données ne sont pas disponibles (« Online Political Spending In 2024 », 2024).

De plus, il existe peu de règles sur la transparence des dépenses en publicité numérique, y compris sur la manière dont les plateformes récoltent et publient leurs données. De ce fait, les informations sur les publicités politiques sont limitées et difficilement vérifiables. C’est donc la raison pour laquelle les seuls chiffres disponibles proviennent de Google et Meta, mais ils ne représentent qu’une portion des sources de dépenses numériques lors des élections.

Micro-ciblage des électeurs

Durant les élections présidentielles de 2024, les candidats ont eu recours à des outils d’analyse de données très poussés dans le but de créer des messages et du contenu précisément adaptés à leurs cibles. Ils ont également eu l’opportunité d’adapter leur contenu presque instantanément en fonction de l’avancement et des développements de leur campagne (Leveneur, 2024). Des profils étoffés de leur public cible furent établis, incluant des détails démographiques, des aspects psychographiques, mais aussi le type de contenu qu’ils consomment sur leurs réseaux sociaux. Ce type d’analyse des données, qui vise un public très précis, se nomme le micro-ciblage. Aujourd’hui, le processus de création de profils à cibler se fait de plus en plus facilement grâce à l’intelligence artificielle.

Lors de la campagne électorale de 2024, les deux principaux candidats à la présidence ont rejoint la plateforme TikTok. Les semaines qui ont suivi ont engendré un grand trafic sur cette plateforme, où les utilisateurs interagissaient directement avec les profils des deux candidats.

Par exemple, dans une publication sur TikTok, la candidate démocrate, Kamala Harris, réagit à différentes vidéos de jeunes de la génération Z exprimant leur fierté de voter pour elle lors de leur première élection. Elle termine la vidéo en disant : “J’adore la génération Z.” Cette publication avait pour but d’inciter les jeunes appartenant à la génération Z à voter pour elle et ainsi de rallier une partie de la jeune population américaine au camp démocrate.

@kamalaharris

I love Gen Z, and I am grateful to our first-time voters for making their voices heard.

♬ original sound – Kamala Harris

Exploitation des données des électeurs

Cette collecte et analyse de données personnelles soulèvent des questions éthiques concernant le droit à la vie privée, d’autant plus lorsque les utilisateurs ne sont pas conscients de la manière dont leurs données sont utilisées. Un micro-ciblage de ce genre est une forme de manipulation, car des messages personnalisés peuvent exploiter les inquiétudes et les peurs des individus, influençant ainsi leur prise de décision.

Par exemple, un parti politique promettant des baisses d’impôts pourrait cibler un individu ayant des insécurités financières, dont le profil reflète cette peur en raison du contenu qu’il consomme. Cela pourrait alors influencer son choix électoral.

L’influence des médias sociaux

Selon une étude menée par le Pew Research Center, plus de la moitié des adultes américains lisent les nouvelles sur les médias sociaux, avec Facebook et YouTube comme plateformes majoritaires. D’ailleurs les plateformes priorisées pour lire les nouvelles varient selon le genre (Papageorgiou, 2025). Les femmes utilisent principalement TikTok, Instagram et Facebook, tandis que les hommes privilégient plutôt Reddit, X et YouTube.

De plus, il est important de mentionner que Google et Meta ne définissent pas le terme « politique » de la même manière, ce qui fait que la portée des publicités numériques sur le sujet diffère d’une plateforme à l’autre. Google considère comme politiques uniquement les publicités concernant les candidats et les partis officiels. En revanche, Meta inclut tout contenu en lien, de près ou de loin, avec les partis, les candidats et tout ce qui pourrait influencer le vote des électeurs (« Online Political Spending In 2024 », 2024).

La propagation de fausses informations a toujours été un défi colossale sur les réseaux sociaux contrairement aux médias traditionnels. Il est très fréquent, quelques mois avant les élections, que des campagnes de désinformation voient le jour sur les réseaux sociaux dans le but d’influencer l’opinion publique et de semer la confusion parmi les électeurs. Il arrive même que les responsables de ces campagnes soient des acteurs étrangers diffusant de la propagande et des théories du complot.

Le futur de la politique digitale et l’impact de l’intelligence artificielle sur les prochaines élections

Si nous croyons avoir vécu un changement de cap significatif, ce n’est que le début. Lors des élections américaines de 2024, l’intelligence artificielle (IA) a commencé à transformer l’environnement politique, du moins sur les médias sociaux, ce qui exige une restructuration complète des stratégies de campagne.

L’IA générative a été au coeur des dernières élections. Elle a permis la création de contenu ultra-personnalisé et a massivement augmenté l’engagement des électeurs. Toutefois, comme pour toute innovation, il existe souvent un revers de la médaille. Lors des élections de 2024, des internautes anonymes ont publié sur les réseaux sociaux des images générées par l’IA montrant Donald Trump aux côtés d’électeurs noirs. Il s’agissait d’une tentative apparente d’attirer ces électeurs (« Aux États-Unis, la Désinformation Liée Aux Élections Cible les Communautés de Couleur », 2024).

L’image qui suit a été générée par l’IA. L’auriez-vous deviné en vous concentrant uniquement sur le réalisme de la photo ?

Cette image a été largement vue sur les réseaux sociaux avec une légende affirmant que Trump avait arrêté son cortège pour poser avec ces hommes.

Le marketing digital continuera de prendre une place de plus en plus importante au sein des campagnes électorales. Celles-ci seront en mesure d’analyser avec une précision croissante les données électorales et de maximiser l’engagement des partisans.

Toutefois, la prolifération de contenu généré par l’intelligence artificielle rendra de plus en plus difficile la distinction entre l’information légitime et celle qui ne l’est pas (« Artificial Intelligence For Electoral Management », s. d.). Il sera d’autant plus crucial pour les sources de marketing numérique fiables de prouver leur légitimité.

La question qui reste à se poser est la suivante : se dirige-t-on vers une ère où la maîtrise de l’analyse des données dictera l’issue des élections ?

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